Femmes mutilées…femmes oubliées
Débat au Club suisse de la Presse, 23 mai 2013
par Kerlène Volant
« La fistule c’est le drame de la pauvreté » nous explique le Professeur Charles-Henry Rochat, Directeur du programme des fistules à la Fondation genevoise pour la formation et la recherche médicales (GFMER) et chirurgien qui opère depuis plus de 15 ans à Tanguiéta, ville du Bénin entièrement construite autour d’un hôpital, l’hôpital Saint-Jean de Dieu, où la pauvreté fait loi. Il nous propose une immersion à Tanguiéta. En outre, avec l’aide d’un groupe de spécialistes et de médecins locaux, le Professeur Charles-Henry Rochat a régulièrement mené des missions dans plusieurs pays africains, où ils ont opéré des cas de fistules. De plus, le Professeur Rochat et son équipe (composée de spécialistes de Suisse, de France, des USA, du Cameroun et de Madagascar) organisent des conférences et des ateliers sur le diagnostic, le traitement et le suivi des cas de fistules et ont plaidé en faveur d’une approche multidisciplinaire concernant les soins des femmes atteintes de fistule obstétricale.
Lors de cette courte vidéo qui nous plonge dans la réalité fistulaire, on y rencontre Noélie, une jeune femme de 19 ans qui comme, tant d’autres femmes, se trouve en situation telle de désespoir que seule la perspective d’une opération peut lui redonner foi en la vie. « C’est le dernier recours, je ne vois pas mon utilité au village, je ne suis pas estimée, l’affection de ma famille diminue. Si l’opération échouait, plutôt que de vivre dans ces conditions, je préférerai me suicider », confie-t-elle à la caméra.
A l’occasion du 10e anniversaire de la campagne et de la toute première journée internationale pour l’élimination de la fistule obstétricale, le 23 mai 2013, l’Alliance globale contre les MGF (AG-MGF) et la Fondation genevoise pour la formation et la recherche médicales ont réuni la presse et de nombreux spécialistes pour un débat au club suisse de la presse. Parmi les invités, le Professeur Charles-Henry Rochat, cité ci-dessus, qui nous explique ce qu’est la fistule avec beaucoup de simplicité : « l’enfant ne sort pas et comme il ne sort pas, il va entraîner une compression des tissus. En effet, la tête de l’enfant va écraser la vessie et parfois le rectum contre l’os du bassin devant et contre le sacrum, derrière. Cette compression prolongée va faire mourir les tissus. Or, une fois que ce tissu meure, il se nécrose, se liquéfie. Il apparaît un trou. C’est ce qu’on appelle la fistule obstétricale ». La fistule engendre de graves conséquences pour les femmes : elles perdent leurs urines jour et nuit (parfois les selles), souffrent d’infections et de lésions cutanées, sentent mauvais. La souffrance morale égale la souffrance physique. La fistule affecte leur aspect physique, mental, social et communautaire. Due à des facteurs tels que la tradition, le manque d’information, la pauvreté et l’éloignement des centres de santé, la fistule obstétricale mène à l’exclusion et au rejet des proches et de la communauté.
Le Dr Luc de Bernis, Conseiller principal en santé maternelle auprès de l’UNFPA, précise que « les fistules sont un problème de genre, de pauvreté et de droit » et expose les trois volets de la campagne qui sont la prévention, le traitement et la réintégration sociale. D’abord, la prévention passe avant tout par la prévention de la mortalité maternelle et permet de diminuer en particulier le taux de grossesses non planifiées. Le planning familial, les professionnels de la santé présents lors de l’accouchement et l’accès aux soins obstétricaux d’urgence jouent un grand rôle dans ce volet. Ensuite, le traitement. Il faut savoir que plus de 2 millions de femmes dans le monde vivent actuellement avec une fistule. Parmi ces 2 millions, il y en a 330'000 qui meurent chaque année, soit 800 femmes par jour. Tous les ans, il apparaît 50'000 nouveaux cas de fistules. Malheureusement, les capacités de traitement et donc de formation sont bien inférieurs à ces 50'000 cas. Enfin, la réintégration sociale des femmes demande beaucoup d’investissement de la part des organisations, du personnel de santé et des communautés. C’est pourquoi, comme le soutient le Dr Anne-Caroline Benski, Gynécologue-Obstétricienne au HUG, « la prise en charge des patientes doit être globale, depuis le recrutement jusqu’à l’intervention puis le suivi, qui ne peut pas être purement médical ». Le suivi est aussi important pour mesurer les effets de l’opération sur l’amélioration de la qualité de vie des femmes souffrant de fistules et sur leur réintégration sociale.
Ainsi, le but de cette campagne est d’éveiller les consciences sur le problème de la fistule obstétrique, de sensibiliser les médias sur les souffrances physiques et mentales de ces millions de femmes mais aussi sur leur exclusion, leur abandon et sur la possibilité de leur redonner leur dignité.
Vidéo
Images