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L'interruption volontaire de grossesse à l'intersection
de différentes problématiques sociologiques

E. Perrin et F. Bianchi-Demicheli

CONTEXTE SOCIO-POLITIQUE

  • Contrôle social de la fécondité et de la contraception par des lois autorisant ou interdisant ces pratiques, fixant des cadres précis (mise sur le marché, dispensation des moyens contraceptifs ou abortifs sous contrôle médical ou en vente libre, …).
  • Luttes sociales permanentes entre adversaires et partisans de l’avortement et de la contraception autour d’arguments religieux, moraux, philosophiques, médicaux ou de genre.
  • Tentatives de contrôle par les individus de la fécondité et de la procréation en utilisant des techniques abortives et des moyens contraceptifs plus ou moins efficaces.

EN SUISSE - BREF HISTORIQUE MÉDICO-LÉGAL

  • 1893 : le Conseil Fédéral charge le Prof. K. Stooss d’élaborer un avant-projet de loi.
  • 1938 : adoption d’un nouveau code pénal (art. 118 à 121) interdisant l’avortement à moins que la santé de la mère soit en danger. Avis d’un 2ème médecin. Avortement sous contrôle médical.
  • 1942 : entrée en vigueur de ce nouveau code pénal. Interprétation laissée aux cantons.
  • 1948 : définition de la santé par l’OMS comme « un état de bien-être physique, mental et social ».
  • 1961 : mise sur le marché de la pilule contraceptive
  • 1971, 1977 : dépôt d’initiatives populaires pour légaliser l’avortement. Rejetées.
  • 1985 : dépôt d’une initiative populaire pour interdire l’avortement. Rejetée.
  • 1988 : fin des condamnations pour avortement.
  • 1993 : initiative parlementaire reprenant l’idée de la solution des délais présente dans l’initiative populaire rejetée de 1977.
  • 1999 : lancement d’une initiative populaire visant à interdire l’avortement.
  • 1999 : autorisation de la pilule abortive RU486.
  • 2001 : en mars, acceptation par le Parlement d’une loi autorisant l’avortement dans les 12 premières semaines de grossesse sur demande de la femme en état de détresse. Lancement d’une initiative contre cette loi.

L’AVORTEMENT DANS LES SOCIETES OCCIDENTALES DEVELOPPEES ET EN SUISSE

  • Suisse, Belgique, Hollande Allemagne: taux d'avortement parmi les plus bas du monde, en dessous de 10 pour 1000 femmes en âge de reproduction (AGI, 1999).
  • Suisse : 8.3 pour 1000 femmes en âge de reproduction (AGI, 1999) ou 7,75 pour 1000 femmes entre 15 et 44 ans (Dondenaz, 1996).
  • Dans tous les autres pays d'Europe ainsi qu'aux USA et au Canada : taux d'avortement situé entre 10 et 23 pour 1000 femmes (AGI, 1999).
  • Sources :
    • Alan Guttmacher Institute, AGI, 1999
    • Conseil de l’Europe, 1999.
    • Dondénaz M., Gutzwiller F., Rey A. M., Stamm H. Interruptions de grossesse en Suisse 1991-1994. Bulletin des médecins suisses, 308-316, 1996.

PROBLEMATIQUE SOCIO-MEDICALE (intervention formulée en terme d'objectifs)

  • Amélioration de la prise en charge des patientes (perspectives cliniques)
  • Prévention de l’avortement (épidémiologie, éducation à la santé, prévention, promotion de la contraception,…)

METHODE

  • Interviews par questionnaire de 150 femmes avant IVG pour retrouver au moins 100 femmes 6 mois plus tard

Critères d’inclusion

  • IVG du premier trimestre
  • capables de s'exprimer en français, italien, espagnol, anglais
  • domiciliées à Genève et/ou d'accord de revenir 6 mois plus tard
  • signature du formulaire de consentement après lecture du texte d'information aux patientes
  • Confidentialité et anonymat garantis
  • Durée des entretiens: 2 x 45 minutes environ
  • Conditions des entretiens: les 2 entretiens ont été réalisés par le même chercheur le plus souvent possible
  • Lieu des entretiens:
    • Le premier entretien a eu lieu dans les locaux où la demande d'IVG a été faite (Maternité ou Planning)
    • Le deuxième entretien a eu lieu en dehors de l'hôpital, dans un endroit laissé au choix des patientes ou par téléphone

Questionnaires

Deux questionnaires standardisés, l'un avant l'IVG, l'autre après

Types de questions Nombre de questions
Avant IVG Après IVG
Situation socio-économique 13 5
Anamnèse gynécologique 3 3
Raisons de la demande 1 --
Entourage 1 --
Contraception 4 2
Vie sexuelle 7 10
Vie de couple (Locke-Wallace) 15 15
Troubles psychosomatiques -- 19
Problèmes psychologiques -- 1
Test post-traumatique (IES) -- 15
Total 44 70

RÉSULTATS

Représentativité :

  • Sur 244 femmes (100%) ayant demandé une IVG durant la période d’enquête, 103 femmes interviewées (42%).
  • Elles sont représentatives du point de vue de l’âge (âge moyen 27 ans et 28 ans ; fourchette : 14 à 45 ans).
  • Elles ne le sont pas du point de vue de la nationalité (36.5% de Suissesses dans la population totale, 52% dans la population interviewée).
  • Aucune autre donnée fiable ne figure dans les dossiers médicaux.

Description des 103 femmes :

  • La majorité ont entre 20 et 40 ans (57% entre 20 et 29 ans, 31% ont entre 30 et 39 ans), 8% ont moins de 20 ans et 4% ont 40 ans et plus.
  • Deux tiers sont célibataires, mais 90% ont un partenaire fixe. Deux tiers n’ont pas d’enfant.
  • Elles sont réparties dans toutes les catégories socio-professionnelles. Un tiers sont ouvrières ou manœuvres, un gros quart étudiantes, un quart sont employées ou cadres intermédiaires ; le reste est constitué de ménagères (8%), de cadres supérieures (4%) et d’agricultrices ou petites indépendantes (3%).
  • Une moitié sont actives et gagnent leur vie (54%) ; les autres (38%) ont des ressources diverses (étudiantes, ménagères, AI) ; une minorité sont au chômage (8%).
  • Un tiers ont suivi l’école obligatoire (30%) ; un quart ont fait un apprentissage (27%) ; un autre quart (24%) ont une formation intermédiaire et un cinquième (19%) ont fait des études supérieures.
  • Près de la moitié sont catholiques (47%) ; un cinquième sont protestantes (19%) ; un cinquième ne se réclament d’aucune religion (19%) ; les autres (15%) se répartissent dans diverses religions (musulmane, orthodoxe, etc).

Principaux résultats

  • Les principales raisons de demande d'IVG sont liées au partenaire (30%), à des difficultés économiques (20%) et à une formation professionnelle non terminée (17%). Viennent ensuite l’âge (16%), les problèmes de santé (11%), les raisons culturelles, religieuses (4%) et le viol (1%).
  • Un tiers des femmes parlent de ce qui leur arrive à une ou un ami (34%), à leur partenaire ou à leur mari (30%). Un cinquième en parlent à un membre de leur famille (19%) et 17% des femmes ne parlent de leur grossesse à personne en dehors des médecins, des infirmières et des conseillères du Planning.
  • 98% des femmes ont déjà utilisé un ou plusieurs moyens contraceptifs généralement conseillés (pilule, préservatif, stérilet, …) dans le courant de leur vie.
  • 32% ont des IVG répétées.
  • Plus de la moitié des femmes (56%) attribuent leur grossesse non désirée à un échec d'un des moyens contraceptifs conseillés. Un tiers ne s’étaient pas protégées du tout.
  • 6 mois plus tard, 83% utilisent des moyens contraceptifs conseillés, 1% des moyens déconseillés. 16% ne se protègent pas du tout (mais 10% n’ont pas repris de vie sexuelle).
  • 1% utilisent la pilule et le préservatif. 11% utilisent le préservatif seul alors qu'elles étaient 33% à l'utiliser avant. La protection contre les MST, dont le Sida, semble oubliée.
  • L’IVG semble remettre en question les moyens contraceptifs utilisés avant puisque 80% des femmes en changent après.
  • 17% des couples ont rompu après IVG. Pour les autres couples, la qualité de la relation est restée la même.
  • On constate une légère baisse de la satisfaction sexuelle de la femme et de son partenaire après IVG.
  • La majorité (89%) des femmes arrivent à faire face à une IVG. Une minorité (11%) présentent un symptôme de stress post-traumatique (PTSD) 6 mois plus tard.
  • Cependant 35% d’entre elles présentent des symptômes psychosomatiques, 20% des dysfonctions sexuelles associées à de l’anxiété et de la culpabilité.

PROBLEMATIQUE SOCIO-ANTHROPOLOGIQUE (théories formulées en termes d’accroissement des connaissances)

  • D'un point de vue sociologique général, l'IVG et la contraception concernent les femmes de toutes les catégories sociales, de tous les niveaux de formation, de toutes les classes d'âge durant la période de fécondité.
  • Du point de vue de la sociologie des religions, les interdits religieux ne semblent pas avoir beaucoup de prise sur les femmes s'en réclamant (catholiques, islamiques, orthodoxes, …).
  • Du point de vue de la sociologie du couple et de la famille, l'IVG est toujours un moment de crise, de remise en question de l'ensemble des relations, crise qui peut avoir une issue positive (consolidation de la relation) ou négative (rupture). La majorité des femmes (70%) prennent cette décision sans en parler à leur partenaire ou mari et considèrent qu'il s'agit d'une décision personnelle (individualisme).
  • Du point de vue de la sociologie de la santé, l'utilisation des méthodes contraceptives modernes (hormonales) n'est pas si simple qu'il y paraît. Les progrès technologiques engendrent de nouveaux problèmes à l'origine de nombreux échecs et de crises de confiance.
  • Enfin, d'un point de vue anthropologique, l'évolution de la science et de la technologie (décryptage du génome humain, génie génétique, clonage, euthanasie, …) remet sans cesse en question les définitions de la vie et de la mort. Quand commence la vie ? A la première cellule, quand le cœur bat, quand le petit humain respire? Quand finit la vie ? Quand le cœur, le souffle s'arrête ? Quand l'encéphalogramme est à plat ?
  • Ces questions sont centrales: elles sont à l'origine de la construction sociale de la culpabilité et de l'anxiété qui hantent les hommes et les femmes autour de l'IVG. Elles permettent de comprendre pourquoi l'IVG est une question difficile à régler socialement, juridiquement, politiquement, économiquement. Et d'expliquer en quoi les campagnes des adversaires de l'IVG contribuent, quels que soient les résultats de consultations démocratiques, à augmenter la culpabilité des individus.