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Psychologie et Ethique médicales

La qualité de vie du patient

Jean-Gilles Boula
Chargé de cours – ISIS ( et Université de Bobigny - Ecole des cadres de santé -Université Paris 13)

S’agissant de la santé, l’expression « qualité de vie » serait un pur pléonasme si nous ne la rapportions pas aux dimensions qui, fondamentalement, la constituent, à savoir aux dimensions biologique, psychologique, sociale, et métaphysique. La vie est un « tout », et nulle de ces composantes ne saurait échapper à la notion de qualité, car il y a une différence entre vivre et survivre, Et si nous prenons  la définition de la santé de l’OMS selon laquelle « La santé ce n’est pas seulement l’absence de maladie, c’est un état de complet bien-être, physique, psychique, affectif et social », il est évident que bien peu de gens seront bien portants. Cette définition fait problème, car cela voudrait dire que tous ceux qui ne sont pas en état de complet bien-être physique, psychique, affectif et social sont malades et relèvent donc de la médecine. Être malheureux, ce n’est pas toujours être malade ; être fatigué, être angoissé, être dans le désamour, dans le deuil, dans l’inappétence, ce n’est pas nécessairement être malade. La médecine peut en effet être consacrée à soigner les malades, et nous pouvons garder l’intelligence à promouvoir la qualité de la vie dans « le prendre soin » des malades , ce qui relève d’autres paramètres dont le présent et cursif exposé entend décliner les termes, car il y a aussi une difficulté de vivre qui ne se réduit pas à la maladie, le nœud que constitue la difficulté de vivre.

Le philosophe Paul Ricoeur différencie bien la douleur de la souffrance. La première, dit-il, renvoie à des effets ressentis comme localisés dans les organes particuliers du corps, ou dans le corps entier, ce à quoi correspond la maladie au sens médical du terme ; tandis que la seconde renvoie à des affects ouverts sur la réflexivité, le langage, le rapport à soi, le rapport à autrui, le rapport au sens, au questionnement, toutes choses qui constituent ce que nous pouvons appeler les ingrédients de la qualité d’une vie. Si la médecine s’essaie dans sa science à atténuer la douleur, cette atténuation ne constitue pas encore le facteur déterminant de la qualité d’une vie, elle n’en est que l’anti-chambre ou la condition de possibilité de la promotion de cette qualité, et des soins et de la vie. Les deux sémiologies que déclinent les termes douleur et souffrance constituent la matrice du sens du soin, et par là même la qualité de ce soin, qualité qui conditionne la qualité de la vie du soigné, et du soignant par ricochet.

Pour les professionnels du soin, le phénomène du souffrir devient le prétexte d’une action sur l’axe agir/pâtir selon une économie psychologique de l’altération du rapport à soi, de la diminution dans les registres de l’estime de soi, de la parole, du récit, de l’action proprement dite. Ces registres sont tenus pour des niveaux de puissance et d’impuissance à dire et d’impuissance à faire. L’impuissance à dire qui fait que l’expression du souffrir se replie sur le cri et les larmes. Une déchirure s’ouvre ainsi entre le vouloir-dire et l’impuissance à dire. C’est dans cette faille que le vouloir-dire se forge néanmoins le chemin de la plainte, comme demande et appel à l’aide. Les agissants étant nécessairement souffrants, c’est du souci, de la part du soignant, d’avoir à travailler sur le manque d’estime de soi du malade, en soignant sa propre parole et les actions déployées à son endroit, que dépend la qualité de la vie que le soignant est censé promouvoir pour le patient. Le sens du soin et la qualité de celui-ci sont avant tout être capable de recevoir cette plainte, cet appel comme introduction à la reconnaissance sociale que nous retrouvons dans le rapport Soi / Autrui.

L’axe agir / pâtir recouvrant celui du rapport du patient à autrui social ou familial, en tant que la diminution des registres de la parole, du récit et de l’estime de soi rend le rapport Soi / Autrui difficultueux, voire problématique. L’absence de ces registres met à mal la nécessaire reconnaissance que socialement le patient attend, ou est en droit d’attendre. C’est ce besoin de reconnaissance que traduisent les différentes formes de plainte du malade, jusques et compris le cri et les gémissements qui sont appels à autrui. Tenir compte de ces appels, c’est de la part du soignant frayer l’orientation de la vie du malade, et inviter celui-ci à voir la vie autrement, et à ne pas oublier qu’être malade est peut-être une sorte d’injonction à penser la qualité du rapport à autrui pour des relations réellement humaines, à commencer par la relation soignant / soigné. Il faut rappeler ici très fortement qu’un agissant (soignant) n’a pas seulement en face de lui d’autres agissants, mais des patients qui subissent son action. La qualité du soin devient synonyme de "s’opposer au geste routinier, à la répétition" pour tenir compte de la singularité du malade, et veiller à la définition de l’homme comme nouveau commencement. La qualité du soin est donc ainsi liée au concept de natalité.

L’axe transversal aux précédents pose immanquablement la question métaphysique du pourquoi, « pourquoi moi »? Pourquoi mon enfant ? Ce faisceau de questions induit le problème de la « poena » (punition), d’où découle l’expression « exécuter la peine ». La qualité des soins consisterait à éduquer le malade, c’est-à-dire à le déculpabiliser de ce qui lui arrive. Soigner est aussi alors « déculpabiliser », sorte de thérapie et d’éducation morale.

La qualité de la vie du malade, comme nous le voyons, est avoir une attention particulièrement alertée aux blessures, dans le souffrir, qui affectent 1) le pouvoir de dire, 2) le pouvoir de faire, 3) le pouvoir de raconter, 4) le pouvoir de s’estimer soi-même comme agent moral. La qualité du soin susceptible de garantir la qualité de la vie du soigné s’articule, au total autour de a) la capacité de recevoir la plainte comme matrice de reconnaissance sociale du malade, et d’accepter la plainte sans lassitude, sans agressivité, malgré une pseudo-impuissance, b) l’interruption du flux de la vie qui va vers la mort, interruption liée au concept de natalité, c) la solidarité des ébranlés que nous sommes tous, d) la promotion du désir d’être et de l’effort pour exister en dépit de

Concepts clés :

Douleur, souffrance, soin, qualité, axe agir / pâtir, impuissance à dire, impuissance à faire, axe Soi / Autrui, natalité, souci du soin, qualité du soin.