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Psychologie Sociale

Les attitudes envers la discrimination positive

Nathalie Recordon

Recherche pour le diplôme européen d'études appliquées en psychologie sociale
sous la direction du Professeur Fabio Lorenzi-Cioldi

RÉSUMÉ

INTRODUCTION

MÉTHODE

  • Population
  • Procédure et matériel
  • Les variables indépendantes
  • Le plan expérimental
  • Les variables dépendantes
  • Les hypothèses
  • Traitements statistiques

RÉSULTATS

  • Hypothèse 1
  • Hypothèse 2
  • Hypothèse 3 
  • Hypothèse 4
  • Résultats complémentaires 

DISCUSSION

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE

 

RÉSUMÉ

Cette recherche porte sur les attitudes envers les procédures de discrimination positive en faveur des femmes. Les participants lisaient un scénario dans lequel une candidate était embauchée alors qu'elle était en concurrence avec un candidat homme. La candidate avait été choisie, soit selon la procédure normale, à savoir pour son mérite -par mérite, l'on entend le fait d'avoir des compétences-, soit selon une procédure visant à favoriser l'emploi des femmes dans l'entreprise (elle avait donc été embauchée soit parce qu'elle avait les mêmes compétences que l'homme, soit parce qu'elle satisfaisait au minimum requis pour le poste, soit enfin parce qu'elle était une femme).

Plusieurs hypothèses ont été testées. La première hypothèse consistait à tester l'existence d'un continuum au niveau de l'acceptation des différentes procédures présentées dans les scénarios où le poids du mérite et de l'appartenance groupale était plus ou moins important. L'on s'attendait également à un effet de favoritisme intra-groupe en ce qui concerne les procédures de sélection et à un effet de rejet de la candidate lorsque celle-ci était moins compétente que son concurrent masculin. Les résultats de notre étude ont montré que l'hypothèse d'un continuum au niveau de l'équité entre les différentes procédures d'embauche a fonctionné en partie et que la procédure basée sur le mérite était jugée la plus équitable de toutes les procédures exposées. Il apparaît que le continuum est plus complexe qu'on ne l'avait imaginé et qu'il peut prendre différentes formes. La seconde hypothèse se rapportait au fait que la mise en place de procédures favorisant les femmes devait être mieux considérée si elle était justifiée, ce qui n'a pas été vérifié. La troisième hypothèse prônant que les femmes seraient plus favorables à des mesures les favorisant et à la candidate sélectionnée que les hommes a été vérifiée en partie. Mais l'on s'attendait également, pour la quatrième hypothèse, à ce que lorsque la candidate est moins compétente que son concurrent les participantes femmes l'évaluent moins bien que ne le feraient les hommes, ce qui n'a pas été vérifié, les résultats tendant même à en conclure l'inverse. Les résultats de l'étude sont discutés et de nouvelles perspectives pour de futures recherches sont élaborées.

INTRODUCTION

Pour faire face aux inégalités dont sont victimes les femmes et les minorités dans le domaine du travail, différentes procédures visant à leur donner une considération spéciale ont été mises en place. Ces procédures de discrimination positive (appelées aussi actions affirmatives) ont pour but de pallier le déséquilibre numérique existant envers les minorités et les femmes. Notre étude portera sur ce type de procédures et nous évaluerons l'opinion qu'ont les gens sur ces procédures de discrimination positive envers les femmes.

Il existe différentes sortes d'actions affirmatives allant de l'appartenance groupale comme unique critère au traditionnel critère du mérite. Kravitz, Harrison, Turner et al. (1996) ont catégorisé les actions affirmatives selon le type de décision pris par les personnes appliquant ces actions. La décision peut être basée seulement ou principalement sur le statut démographique (traitement préférentiel fort), elle peut être basée sur le mérite et le statut démographique (traitement préférentiel ni fort ni faible). Enfin, la décision peut également être basée sur le mérite principalement et, face à deux candidats équivalents, celui faisant partie de la minorité est favorisé (traitement préférentiel faible).

Afin de comprendre l'intérêt et l'enjeu des procédures de discrimination positive, il convient de faire un état des lieux de la situation des femmes dans le domaine du travail. On peut remarquer que les femmes sont souvent sélectionnées de manière plus sévère que les hommes, elles ont moins de chances de gravir les échelons hiérarchiques et lorsque c'est le cas, elles le font beaucoup moins vite que les hommes (OIT, Bulard, Daune-Richard). Par ailleurs, concernant l'aspect financier, les femmes restent, à poste et diplôme égaux, moins payées que les hommes. Major, Feinstein et Crocker (1994) ont observé que les femmes sont moins récompensées et travaillent plus longtemps que les hommes pour un salaire équivalent. De fait, les femmes sont de plus en plus nombreuses à avoir des postes haut placés, mais elles occupent beaucoup moins souvent que leurs collègues masculins des fonctions d'encadrement et d'organisation du travail (Volkoff 1987). Elles sont plus présentes dans des postes fonctionnels -comme l'administration et la communication- et sont donc particulièrement absentes des postes de décision. En outre, elles sont souvent traitées différemment des hommes par des moyens subtiles (comme par exemple, dans certaines entreprises : moins d'opportunités de voyages d'affaires, donc moins de nouveaux contacts et moins de nouveaux clients…, Deaux et LaFrance 1998, p.810). Il existe une relation asymétrique entre les hommes et les femmes. L'homme "sert de référent général, il dit la vision légitime du monde, de l'ordre social et, ce faisant de l'ordre des sexes : il domine, matériellement et symboliquement" (Daune-Richard 2001 p.138).

L'opinion des femmes sur ce sujet a été évaluée dans une étude de Kelly et Breinlinger (1996, p.62) dans laquelle il était demandé à des femmes si elles avaient déjà été victimes de discrimination sexuelle et si tel était le cas d'en décrire les situations. Les résultats ont montré que 76% des participantes avaient été victimes de discriminations et que, dans 57% des cas, ces discriminations apparaissaient dans un contexte de travail. Il en ressort que les femmes ont le sentiment d'être sous-évaluées, d'obtenir des promotions beaucoup moins facilement que leurs collègues hommes et d'être considérées par rapport à leur appartenance sexuelle plutôt que pour leurs réelles compétences. Bem (1981), Deaux, Kite et Lewis (1985) observent le même type de résultats, puisque leurs études montrent que les femmes sont en général sous-évaluées ou évaluées négativement par rapport aux hommes.

Dans le contexte actuel de déséquilibre entre les sexes, il semble justifié de mettre en place des mesures visant à favoriser les femmes. Ces mesures étant loin de faire l'unanimité tant dans le monde politique que dans le monde du travail, nous allons passer en revue la littérature sur la discrimination positive afin de cerner les attitudes envers les actions affirmatives et les controverses qu'elles soulèvent. Dans la mesure du possible, nous allons illustrer notre propos par des études portant sur les actions affirmatives en faveur des femmes, mais étant donné que plus d'études ont été faites sur celles en faveur des minorités ethniques, nous nous baserons également sur ces dernières.

Les études réalisées ont montré, de manière générale, que les personnes interrogées pour évaluer différentes procédures d'embauche considèrent presque toujours positivement les sélections basées sur le mérite. Mais lorsqu'elles ont à juger celles basées sur des traitements préférentiels, leurs évaluations sont influencées par des facteurs tels que le sexe du candidat, ses capacités et les connaissances sur ses qualifications (Kravitz et Platania 1993). Lorsqu'on demande à des hommes d'évaluer les compétences d'une femme selon différentes procédures de sélection, il s'avère que lorsqu'ils pensent que le mérite a été fortement pris en compte (comme par exemple quand la femme a obtenu précédemment les mêmes qualifications qu'un homme) il n'y a aucune différence d'évaluation entre les procédures de sélection préférentielle et celle basée sur le mérite (Heilman, Battle, Keller et Lee 1998). Dans la même étude, il apparaît que ceux à qui aucune information n'était donnée sur la nature de la procédure de sélection répondaient comme ceux à qui on avait dit que le mérite tenait un rôle négligeable dans la prise de décision. En général, les personnes montrent une attitude positive envers les procédures de sélections préférentielles caractérisées comme souples ou faibles, c'est-à-dire quand le poids de l'appartenance groupale est faible et que le mérite est fortement pris en compte. Mais lorsque ces procédures sont fortes, à savoir que le mérite a une importance négligeable, les réactions sont plus négatives (Kravitz et Platania 1993). Ce modèle est particulièrement observé chez les non-bénéficiaires de ces procédures (Kravitz et al. 1996). Ainsi, il apparaît que, bien que les blancs américains soutiennent les procédures générales prônant l'égalité d'opportunités, ils sont opposés à des pratiques de sélection fixées sur des critères démographiques (comme la race). On peut supposer que l'attitude des hommes envers les procédures visant à favoriser les femmes suit la même logique. Cela nous amène à postuler la première hypothèse de notre recherche. Les études de Kravitz et Platania (1993) et Kravitz et al. (1996) ont mis en évidence que plus le mérite est un critère important dans la procédure d'embauche utilisée, plus la procédure en question sera bien acceptée et jugée positivement. On postule donc l'existence d'un continuum au niveau de l'acceptation entre différentes procédures de sélection dans lesquelles le mérite a une place plus ou moins importante. De cette manière, plus le mérite a d'importance, mieux la procédure sera acceptée.

Bien que le fait de privilégier un groupe social minoritaire ait pour but d'arriver un jour ou l'autre à une certaine équité, de nombreuses résistances apparaissent face à la mise en place d'actions affirmatives. Ces résistances se situent à différents niveaux. Au niveau inter-groupe, le fait de favoriser une minorité s'effectue en général au détriment de la majorité qui aura du mal à accepter d'être privée des privilèges qui lui sont en général reconnus. Elle percevra donc les procédures mises en place comme inéquitables et injustes. De telles préférences envers les minorités pourront donc être considérées comme de la "discrimination inverse" par les non-bénéficiaires de ces procédures, ainsi la minorité n'est plus discriminée grâce aux procédures les favorisant, mais la majorité, elle, le devient. Par ailleurs, les personnes faisant partie de la majorité seront tentées de considérer celles qui ont été engagées à la suite de traitements préférentiels comme moins compétentes. Souvent, les procédures visant à augmenter la diversité sont vues comme ne tenant pas compte des qualifications des personnes faisant partie de minorités et ceci est particulièrement le cas dans les organismes obéissant au principe des quotas. Ainsi, Kravitz et Platania (1993) mettent en évidence que, sans informations contraires, les gens tendent à considérer que les actions affirmatives entraînent une sélection préférentielle sans regard pour le mérite. Kravitz et Van Epps (1995 cité dans Kravitz et al. 1996, p.17) ont demandé à des personnes d'expliquer leurs opinions sur les procédures d'embauches préférentielles. Les gens qui estiment ces procédures équitables les jugent ainsi car elle favorisent l'égalité d'opportunités. Par contre, les personnes jugeant ces procédures inéquitables pensent que ces procédures sont faites uniquement sur des bases démographiques sans regard pour les compétences de la personne choisie et qu'elles tendent à favoriser une discrimination inverse. Au niveau intra-individuel, les individus ayant été embauchés grâce à des procédures visant à accroître la diversité au sein d'une organisation peuvent douter de leurs capacités, ignorant s'ils ont été choisis pour leurs compétences ou parce qu'ils appartenaient à un groupe défavorisé. Par ailleurs, ils ont tendance à s'évaluer négativement, à se sentir incompétents et à être moins motivés par leur travail que les personnes qui ont été engagées sans procédure préférentielle (Heilman, Simon et Repper 1987 ; Heilman, Battle, Keller et Lee 1998).

Pour résumer, les résistances envers les procédures de sélections préférentielles sont principalement dues à leur manque d'équité perçu et à l'intérêt personnel non satisfait des non-bénéficiaires de ces procédures. Il est souvent reproché aux actions affirmatives d'avoir pour unique but d'assurer une justice entre les groupes au détriment d'une justice entre individus. Au niveau des bénéficiaires de ces procédures, ces derniers ont tendance à s'évaluer plus négativement que s'ils avaient été embauchés sans mesure préférentielle.

Les opinions envers les actions affirmatives semblent très controversées. Il y a, d'un côté, ceux qui pensent que ces actions sont un antidote nécessaire pour enrayer la discrimination envers les femmes et, de l'autre côté, ceux qui pensent que ces actions créent plus de problèmes qu'elles n'en résolvent. En principe, les bénéficiaires devraient y être totalement favorables, néanmoins, tel n'est pas toujours le cas, puisqu'ils craignent d'être engagés uniquement pour leur appartenance à un groupe minoritaire et non pour leurs réelles compétences. Les non-bénéficiaires, quant à eux, sont souvent opposés à ces mesures de discrimination positive, puisqu'ils ne sont pas concernés et ont ainsi moins de chances d'être engagés. Les attitudes envers les actions affirmatives peuvent être modifiées en manipulant l'équité des procédures. Plus elles sont équitables, mieux elles sont acceptées. Néanmoins, même si la notion d'équité est respectée, les procédures favorisant les minorités sont généralement encore mal acceptées. Ceci peut être expliqué par le sexisme dont les femmes sont victimes dans le domaine du travail. En apparence, chacun se doit de ne pas être sexiste, ce qui est devenu une obligation aussi bien légale que morale et il en découle un climat manifeste de tolérance. Néanmoins, il existe un sexisme latent, non explicite qui explique pourquoi les actions visant à favoriser les femmes sont mal acceptées. Ce sexisme (appelé sexisme moderne) reflète les croyances : - que la discrimination envers les femmes fait partie du passé, car elles ont les mêmes opportunités d'éducation et d'emploi que les hommes, - que les femmes occupent des places où elles ne sont pas les bienvenues et que les gains récents ne sont pas mérités, - que les femmes ont maintenant plus d'attentions et un meilleur statut qu'elles ne le méritent (Kelly et Breinlinger 1996).

Le sexisme moderne est caractérisé par un déni de la discrimination actuelle dont sont victimes les femmes (Swim, Aikin, Hall et Hunter 1995). Dans ce cadre, puisque les personnes sexistes estiment que les femmes ne sont pas victimes de discrimination dans le domaine du travail et qu'elles ont autant de chances que les hommes d'obtenir un poste haut placé, il semble naturel que ces personnes sexistes n'adhèrent pas aux procédures visant à favoriser les femmes étant donné qu'elles les considèrent comme inutiles et injustifiées. Par ailleurs, les stéréotypes envers les femmes présents chez la plupart des gens n'aident pas les femmes, puisqu'ils confortent les personnes sexistes dans leurs opinions. Les stéréotypes reflètent les observations que font les gens dans leur vie de tous les jours. Ainsi, on peut observer que les femmes occupent souvent des positions hiérarchiques inférieures à celles des hommes qui, eux, sont souvent cadres. Il est en effet plus probable de voir une femme au foyer et un homme occuper un poste payé que le contraire. C'est en observant les hommes et les femmes que sont nées les croyances que les hommes s'orientent en général vers des buts instrumentaux (prédominance de l'autonomie individuelle, de la compétition et de la productivité) et les femmes vers des buts expressifs (désir de liens avec autrui, expression émotionnelle…). Les hommes et les femmes ont donc souvent des statuts différents, les statuts des hommes étant plus élevés que ceux des femmes. Ainsi, selon Eagly et Steffen (1984), les gens confondent les personnes et les rôles, puisque les comportements spécifiques d'un rôle sont associés avec les personnes qui les remplissent le plus souvent. Le fait que les femmes occupent des rôles souvent moins valorisés que les hommes a fini par s'inscrire parmi les stéréotypes féminins. Les stéréotypes sexuels sont ancrés profondément chez la plupart des gens et même les personnes qui se disent libres de tout stéréotype ont des croyances stéréotypiques apparaissant à un niveau latent, ce qui peut contribuer à biaiser de nombreux jugements. De cette manière, les femmes peuvent se trouver discriminées non à cause d'un manque de compétence réel, mais à cause des stéréotypes qui leur sont attachés. On peut en déduire que les attitudes négatives envers les actions affirmatives favorisant les femmes peuvent s'expliquer en partie par le sexisme et les stéréotypes dont les femmes font l'objet. Premièrement, le sexisme moderne provoque le déni de la réalité des inégalités hommes-femmes dans le domaine du travail, ce qui engendre la perception que les procédures en faveur des femmes n'ont pas lieu d'être. Deuxièmement, les stéréotypes sexistes envers les femmes tendent à placer la femme à un niveau inférieur à celui de l'homme. Les individus adhérant à ces stéréotypes ne verraient donc aucune utilité à favoriser les femmes dans certains types de postes où ils estiment qu'un homme pourrait être meilleur.

Bien qu'il soit difficile de lutter contre les stéréotypes sexistes et que les personnes sexistes soient opposées aux mesures positives envers les femmes, il nous a semblé intéressant de nous pencher sur différentes causes pouvant modifier les opinions sur les mesures positives. Ainsi, l'on peut se demander si l'opinion des personnes sur les actions affirmatives change davantage en fonction de leur intérêt personnel, de l'intérêt de leur groupe d'appartenance ou en fonction de l'équité de la procédure.

Les études de Murell, Dietz-Uhler, Dovidio, Gaertner et Drout (1994) et de Bobocel et Farrell (1996) ont mis en évidence que les attitudes envers les procédures de sélections préférentielles sont plus positives quand ces procédures sont justifiées. Les justifications peuvent être soit compensatoires -à savoir que la mise en place de ces procédures sert à compenser les discriminations du passé- soit instrumentales, c'est-à-dire destinées à augmenter la diversité culturelle. Ces résultats soulignent l'importance du respect de l'équité. Ce qui nous amène à notre seconde hypothèse, selon laquelle une procédure de sélection préférentielle envers les femmes devrait être jugée plus favorablement si elle s'applique dans une entreprise composée d'un nombre de femmes nettement inférieur à celui des hommes que dans une entreprise composée majoritairement de femmes. La composition de l'entreprise justifierait donc l'utilité d'une mise en place de procédures favorisant les femmes. D'autres études ont montré que les femmes étaient plus favorables à des procédures de sélections les favorisant que les hommes (Kravitz et Platania 1993, Goldsmith, Cordova, Dwyer, Langlois et Crosby 1989). Dietz-Uhler et Murrell (1998) ont mis en évidence, dans leur étude, que le candidat de l'intra-groupe était évalué de manière plus favorable que le candidat du hors-groupe quand la procédure d'action affirmative était perçue comme équitable. Ce qui nous amène à postuler notre troisième hypothèse basée sur le principe du favoritisme intra-groupe. On peut en effet s'attendre à ce que les femmes soient plus favorables à des procédures les favorisant et qu'elles jugent de manière plus favorable les femmes bénéficiaires de ces procédures. Notre hypothèse peut cependant être nuancée puisque que dans leur étude, Dietz-Uhler et al. (1998) ont découvert que l'internalisation des normes d'équité était plus forte que l'appartenance personnelle ou groupale. De ce fait, lorsque la procédure d'action affirmative était perçue comme inéquitable, les participants opposaient une résistance à la procédure en évaluant plus négativement le membre de l'intra-groupe. Ce qui montre bien que l'intérêt du groupe passe après le respect de l'équité. D'autres études (Kravitz 1995 ; Nosworthy, Lea et Lindsay 1995) vont dans le même sens puisqu'elles mettent en évidence que les attitudes envers les procédures préférentielles sont plus liées à l'équité qu'aux intérêts personnels ou groupaux. Kravitz et Meyer (1995 cité dans Kravitz et al. 1996, p.19) confirment les études précédentes et permettent de distinguer l'intérêt personnel de l'intérêt groupal puisque leur étude montre que l'intérêt du groupe apparaît moins important que l'intérêt personnel et que ces deux types d'intérêts sont moins importants que le respect de l'équité. Ces recherches nous permettent de mettre en évidence la dernière hypothèse de notre étude qui est que l'on peut s'attendre à ce que, lorsque la femme engagée est moins compétente que son concurrent masculin, les femmes l'évaluent moins bien que ne le feront les hommes.

Les études que nous avons présentées ont montré que pour que les procédures visant à favoriser les minorités soient acceptées, elles doivent être justifiées. Par ailleurs, il a été mis en évidence que l'internalisation de la justice et de l'équité est plus importante que l'intérêt personnel et groupal.

Jusqu'à aujourd'hui très peu de recherches concernant les procédures de sélections préférentielles ont été effectuées en Europe. La présente recherche nous permettra d'évaluer les opinions de participants sur différentes procédures favorisant les femmes (niveau d'acceptation et perception d'équité). Cela dans le but, à terme, de trouver le moyen le plus efficace de faire accepter les procédures d'embauche basées sur un traitement préférentiel envers les femmes. Pour ce faire, nous avons également évalué la perception de la discrimination, les préjugés et les stéréotypes envers les femmes présents dans le domaine du travail.

MÉTHODE

Population

Les passations se sont déroulées sur une population étudiante de première et deuxième années de la Faculté des SES (sciences économiques et sociales) à l'Université de Genève. Elles se sont faites en amphithéâtre et 162 personnes y ont participé, mais l'échantillon a été ramené à 159 puisque 3 personnes n'avaient pas rempli correctement le questionnaire. Les participants étaient âgés de 18 à 32 ans (âge moyen 22 ans) et parmi eux il y avait 73 femmes et 79 hommes.

Procédure et matériel

Les participants avaient à remplir un questionnaire de 12 pages dont la passation était d'une durée de quinze minutes environ. La première page du questionnaire était une page de présentation : le questionnaire y était présenté comme faisant partie d'une enquête d'opinion sur les femmes et le travail menée par un groupe de chercheurs de l'Université de Genève. On insistait également sur l'anonymat du questionnaire et le fait qu'il n'y avait ni bonne ni mauvaise réponse. Les pages 2 et 3 comprenaient quatorze questions sur la discrimination des femmes dans le domaine du travail, telles que "l'égalité homme-femme existe dans le domaine du travail" ou "il est important que les femmes puissent accéder aux mêmes emplois que les hommes" (liste intégrale des questions p.15, tableau 1). Les participants devaient répondre à ces questions sur une échelle de 1 (pas du tout d'accord) à 7 (tout à fait d'accord). Sur la quatrième page était présenté le scénario exposant le cas d'une femme (Madame L.) qui a été embauchée pour un poste important dans une entreprise, alors qu'elle était en concurrence pour ce poste avec un homme (Monsieur D.). Ce scénario a servi à manipuler les différentes variables indépendantes. Les cinquième et sixième pages comprenaient 14 questions relatives aux conditions d'embauche dans l'entreprise. Celles-ci se rapportaient aux bénéfices apportés par les procédures d'engagement et aux compétences de Mme L (liste intégrale p.16, tableau 2). De la page 7 à la page 9 des questions étaient posées sur les conséquences de la procédure d'embauche par laquelle Mme L. a obtenu son poste. Ces questions concernaient les préjugés envers les femmes actives, les avantages pour les femmes apportés par les procédures d'engagement et l'idée de justice et d'humanité (liste intégrale p.17, tableau 3). Dans les pages 10 et 11 les participants devaient évaluer parmi différentes procédures d'engagement la plus souhaitable et on leur demandait également d'évaluer le pourcentage de femmes à différents types de postes (subalternes, intermédiaires et dirigeants). Enfin, la dernière page contenait des questions d'ordre socio-démographique. Tous les participants avaient le même questionnaire à remplir, seul le scénario changeait selon les conditions expérimentales. Il existait huit scénarios différents distribués de manière aléatoire aux participants. Les variables indépendantes manipulées dans le scénario étaient les suivantes : la procédure d'embauche et la composition de l'entreprise. Tous les scénarios avaient une partie commune : Madame L. a été engagée pour un poste important à la direction des ressources humaines d'une grande entreprise dans laquelle X % des salarié(e)s sont des hommes. Pour ce poste, elle était en concurrence avec Monsieur D.

Les variables indépendantes

  • La composition de l'entreprise

Dans la partie commune du scénario, la composition de l'entreprise variait. Cette variable avait deux modalités : le pourcentage d'homme au sein de l'entreprise était soit de 30% soit de 70%.

  • Le type de procédure d'engagement

Après la partie commune, les scénarios se différenciaient de quatre façons qui nous ont permis d'opérationnaliser notre variable :

- Elle a donc été choisie car ses compétences étaient supérieures à celles de son concurrent (procédure basée sur le mérite). Les trois scénarios suivants commençaient par : Pour les postes de cadres, cette entreprise vient d'adopter un règlement qui stipule

- qu'une femme doit être préférée à un homme si leurs compétences sont équivalentes. C'est donc parce qu'elle avait les mêmes compétences que son concurrent que Madame L. a été choisie (procédure basée sur les mêmes compétences).

- que, lorsque les compétences des candidats satisfont au minimum requis pour un poste, une femme doit être préférée à un homme. Madame L. avait des compétences inférieures à son concurrent, mais néanmoins suffisantes pour le poste. Elle a donc été choisie (procédure basée sur le minimum requis).

- qu'il faut augmenter la participation féminine dans l'entreprise. C'est donc parce qu'elle est une femme que Madame L. a été choisie (procédure basée sur l'appartenance sexuelle).

  • Le sexe des participants 

La dernière variable indépendante était le sexe des participants (homme, femme).

Le plan expérimental

 Le plan était le suivant : 4 (type de procédure d'engagement : mérite, mêmes compétences, minimum requis, appartenance sexuelle) * 2 (composition de l'entreprise : 30%, 70% d'hommes) * 2 (sexe des participants : hommes, femmes). Les trois variables étaient inter-sujets.

Les variables dépendantes

Les variables que l'on a mesurées étaient de plusieurs types. Voici les principales variables -les questions qui ont été posées se retrouvent dans les tableaux des analyses factorielles de la partie traitements statistiques p.15 à 17- : - la perception de la discrimination des femmes dans le domaine du travail (par exemple, les femmes sont discriminées par rapport aux hommes dans le domaine du travail), - les bénéfices des procédures de sélection (par exemple, la procédure d'engagement utilisée pour recruter Mme L. apporte une amélioration aux conditions de travail dans l'entreprise), - les compétences de Mme L. (par exemple, Mme L. a toutes les qualifications requises pour le poste qu'elle a obtenu), - les préjugés envers les femmes actives (par exemple, la procédure d'embauche utilisée dans l'entreprise détournera les femmes des tâches familiales), - les avantages des procédures de sélection (par exemple, la procédure d'embauche utilisée favorisera l'épanouissement des femmes qui accèdent à un poste de cadre).

Les hypothèses

  •  Hypothèse 1

 En ce qui concerne l'évaluation des différentes procédures d'engagement, on peut s'attendre à un continuum entre les différentes procédures. Ce continuum sera testé plus spécialement sur les variables dépendantes se référant aux bénéfices, aux conséquences et aux avantages des procédures d'engagement. On s'attend à un effet principal de la variable "type de procédure d'engagement" sur les variables dépendantes citées ci-dessus. Ainsi, la procédure d'engagement basée sur le mérite (la femme a les compétences supérieures, elle est donc engagée) devrait être jugée de manière plus favorable que celle basée sur le traitement préférentiel faible (à compétences égales, engagement de la femme) qui, elle, devrait l'être plus que celle basée sur le traitement préférentiel ni faible ni fort (à compétences minimum requises pour le poste, engagement de la femme). Enfin, la dernière procédure d'engagement basée sur le traitement préférentiel fort (la femme est engagée uniquement pour son appartenance sexuelle) devrait être jugée de la manière la moins favorable.

  • Hypothèse 2

 La candidate sélectionnée et la procédure d'engagement devraient être mieux évaluées lorsque l'entreprise est majoritairement masculine que lorsqu'elle l'est minoritairement. L'on s'attend donc à un effet principal de la variable "composition de l'entreprise" sur les variables se référant aux bénéfices des procédures, à la perception des compétences de Mme L. et au fait de préférer pour un emploi une femme à un homme.

  • Hypothèse 3

 On peut s'attendre à ce que les participantes femmes soient plus favorables que les hommes aux procédures visant à les favoriser et qu'elles évaluent ainsi plus favorablement la candidate sélectionnée que les hommes. Etant donné que les hommes devraient être moins favorables aux procédures que les femmes, on s'attend également à ce qu'ils se sentent menacés par ces procédures. Il devrait y avoir un effet du sexe des participants sur les items ayant trait au fait de favoriser les femmes par rapport aux hommes, à l'évaluation des qualifications de Mme L. et aux préjudices de ces procédures envers les hommes.

  • Hypothèse 4

 Cette hypothèse nuance la précédente, puisque l'on s'attend à un effet d'interaction entre les variables indépendantes "type de procédure d'engagement" et "sexe des participants" sur la variable "compétences de Mme L.". Ainsi, lorsque la candidate est moins compétente que son concurrent (dans la procédure du minimum requis), les participantes femmes devraient l'évaluer moins bien que ne le font les hommes.

Traitements statistiques

 Pour appréhender les dimensions sous-jacentes du questionnaire, trois analyses en composantes principales ont été effectuées. La première analyse a été faite sur la mesure de la discrimination dans le domaine du travail. La seconde analyse a porté sur les procédures d'embauche de l'entreprise et la troisième se rapportait aux conséquences de ces procédures. Pour chaque facteur, nous avons considéré son pourcentage de variance expliquée, son interprétabilité et les alphas de Cronbach. Le pourcentage de variance expliquée ne devait pas être inférieur à 10. Concernant les alphas de Cronbach, seuls les facteurs dont l'alpha était supérieur à .65 ont été pris en compte. Enfin, nous ne nous sommes intéressés, pour notre étude, qu'aux facteurs dont l'interprétabilité était claire. La première analyse en composantes principales après rotation varimax a permis d'extraire quatre facteurs (voir tableau 1). Pour les raisons exposées ci-dessus, nous avons décidé de ne développer, dans notre étude, que le premier facteur expliquant 20.5% de la variance et ayant un a de .73. Ce facteur se rapporte à l'existence de la discrimination des femmes dans le domaine du travail. Concernant les scores factoriels, plus ces derniers sont positifs, plus les participants sont d'accord avec l'existence d'une discrimination envers les femmes dans le domaine du travail.

Tableau 1 : Analyse en composantes principales (après rotation varimax) pour la mesure de la discrimination des femmes dans le domaine du travail

  Facteurs
1 2 3 4
Pour trouver un poste, une femme doit faire preuve de plus de compétences qu'un homme .817      
Plus de mesures devraient être prises pour favoriser l'emploi des femmes .780      
Les femmes sont discriminées par rapport aux hommes dans le domaine du travail .712      
Les personnes chargées du recrutement devraient porter moins au sexe des candidats et plus à leurs compétences .562 .312 .365  
Les hommes auront toujours plus de chances que les hommes d'obtenir un poste de cadres .506      
A terme, dans les entreprises, les proportions d'hommes et de femmes vont s'équilibrer dans les emplois intermédiaires   .875    
A terme, dans les entreprises, les proportions d'hommes et de femmes vont s'équilibrer dans les emplois subalternes   .731    
A terme, dans les entreprises, les proportions d'hommes et de femmes vont s'équilibrer dans les postes de dirigeants   .716    
Dans quelques années, les femmes auront les mêmes opportunités de carrière que les hommes   .582 .445 -.325
Tout le monde devrait s'intéresser aux pratiques d'embauche dans les entreprises     .737  
L'égalité homme-femme existe dans le domaine du travail   .310 .645  
Les médias accordent trop d'importance à la question du travail des femmes -.366   .495 .463
Les mesures visant à favoriser l'embauche des femmes peuvent porter préjudice à ma propre carrière professionnelle       .784
Il est important que les femmes puissant accéder aux mêmes emplois que les hommes .514     -.542

La seconde analyse après rotation varimax a permis d'extraire 4 facteurs (voir tableau 2), mais nous n'avons retenu que les deux premiers. Le premier se rapporte aux bénéfices qu'apportent les procédures d'engagement et explique 27.7% de la variance (a=.87). Plus les scores factoriels sont positifs, plus les participants voient les procédures d'engagement de manière positive. Le second facteur concerne les compétences de Mme L. et explique 15.8% de la variance (a=.74). La polarité positive des scores factoriels se rapporte au fait que Mme L. n'est pas compétente et la polarité négative au fait qu'elle est compétente.

Tableau 2 : Analyse en composantes principales (après rotation varimax) pour les procédures d'embauche

  Facteurs
1 2 3 4
La procédure par laquelle Mme L. a été engagée est équitable .823      
La procédure d'engagement utilisée apporte une amélioration aux conditions de travail dans l'entreprise .757      
La procédure d'engagement utilisée apporte un bénéfice à l'image de l'entreprise .751      
La façon dont a été engagée Mme L. porte préjudice à M.D. -.749 .358    
Dans cette entreprise, la procédure de sélection des candidats aux postes de cadres compromet l'accès des hommes à ces postes -.736      
La procédure d'engagement utilisée est la meilleure manière d'augmenter le nombre de femmes dans l'entreprise .615   .352  
La procédure d'engagement utilisée est bénéfique à l'entreprise du point de vue financier .610     .409
Mme L. n'est pas suffisamment compétente pour le poste qu'elle a obtenu   .807    
Mme L. a toutes les qualifications requises pour le poste qu'elle a obtenu   -.732   .377
M.D. aurait été plus compétent qu'elle pour occuper le poste   .718    
Il est normal qu'à qualifications égales, les femme soient préférées aux hommes     .829  
Il est normal qu'une femme soit préférée à un homme parce qu'elle est une femme     .771  
Il est normal qu'une femme qui a les compétences suffisantes pour occuper un poste soit préférée à un concurrent homme, même si les compétences de ce dernier sont supérieures     .742  
Les femmes devraient être davantage encouragées à postuler pour des postes de cadres       .865

La dernière analyse a mis en évidence 6 facteurs (voir tableau 3). Nous n'en avons retenu que deux. Le premier se rapporte aux préjugés envers les femmes actives induits par les procédures de sélection et explique 12% de la variance (a=.72). Plus les scores factoriels sont élevés, plus les participants ont des préjugés envers les femmes actives. Le deuxième facteur se réfère aux avantages pour les femmes des procédures de sélection et explique également 12% de la variance (a=.74). Plus les scores factoriels sont élevés, plus les participants perçoivent les avantages pour les femmes des procédures de sélection.

Tableau 3 : Analyse en composantes principales (après rotation varimax) pour les conséquences des procédures d'embauche

Les conséquences des procédures : Facteurs
1 2 3 4 5 6
Sur la féminité .735          
Les femmes ne sont pas faites pour être cadres .713          
Sur l'augmentation du nombre de divorces .702          
Les femmes seront détournées des tâches familiales .696          
Le conjoint se sentira désécurisé .520     .493    
Sur l'épanouissement personnel des femmes   .707        
Évolution favorable des opinions sur les femmes   .651 -.394      
Autonomie financière des femmes   .593     .305  
Fierté du conjoint envers sa femme qui travaille   .590       .340
La participation des hommes aux tâches ménagères   .421   .386 -.351 .385
La possibilité des femmes d'accéder aux postes de cadres   .398   .364 .379  
Sur le doute des femmes concernant la raison pour laquelle elles ont été embauchées     .810      
Sur l’augmentation des risques d'engager une femme qui n'a pas toutes les compétences requises     .788      
Sur l’établissement d’une certaine justice sociale     -.606     .491
Sur la dévalorisation des femmes qui n'arrivent pas à devenir cadres   -.337 .571   .355  
Sur la prise de conscience que tous les hommes cadres n'ont pas les compétences nécessaires       .750    
Sur le doute des hommes quant à leurs propres capacités       .697    
Sur la prise de conscience que les hommes occupent la plupart des postes de cadres       .464    
Sur l’accentuation de la concurrence entre les salariés dans l'entreprise         .700  
Sur l’augmentation du stress chez les femmes qui deviennent cadres .333       .654  
Les entreprises seront plus humaines           .800
Sur la promotion de l'égalité des sexes chez l'enfant   .429   .357   .431

Lorsqu'il s'agissait d'évaluer l'effet des trois variables : le type de procédure, la condition et le sexe des participants, des anovas ont été effectuées sur les scores factoriels des différents facteurs retenus lors des analyses en composantes principales et aussi sur certaines questions prises individuellement. Lorsque seul l'effet du sexe des participants était mesuré, soit dans la première partie du questionnaire avant les manipulations expérimentales, des t-tests ont été calculés.

RÉSULTATS

 Hypothèse 1

 Nous rappelons que pour que la première hypothèse soit vérifiée, il devrait y avoir un continuum entre les différentes procédures d'embauche allant du pur critère du mérite à l'appartenance sexuelle uniquement. On s'attend à ce que plus le critère du mérite a du poids, plus la procédure d'embauche soit considérée comme positive, bénéfique et souhaitable.

L'anova réalisée pour évaluer l'équité de la procédure par laquelle Mme L. a été engagée met en évidence un effet du type de procédure, F(3, 134) = 75.32, p<.001. La procédure basée sur le mérite a une moyenne plus élevée (M = 6.26) que les autres procédures (M = 2.24 pour la procédure basée sur les mêmes compétences, M = 1.68 pour le minimum requis et M = 2.29 pour l'appartenance sexuelle, voir figure 1). Les résultats montrent que la procédure basée sur le mérite est la plus équitable, mais l'hypothèse de l'existence d'un continuum entre les différentes procédures n'est pas tout à fait vérifiée.

Lorsqu'on évalue quelle est la meilleure manière d'augmenter le nombre de femmes dans l'entreprise, l'anova montre un effet du type de procédure, F(3, 136) = 16.64, p<.0001. La procédure basée sur le mérite (M = 5.13) a une moyenne supérieure aux autres procédures (M = 3.81 pour celle basée sur les mêmes compétences, M = 2.61 pour le minimum requis et M = 2.27 pour l'appartenance sexuelle, voir figure 1). La meilleure manière d'augmenter le nombre de femmes dans l'entreprise est la procédure basée sur le mérite. L'hypothèse d'un continuum n'est donc pas tout à fait vérifiée.

L'anova effectuée sur les bénéfices apportés par les procédures d'engagement (voir tableau 2, facteur 1) montre un effet significatif des types de procédures, F(3, 127) = 56.049, p<.001. Ainsi, la procédure basée sur le mérite (M = 1.215) obtient un score factoriel plus élevé que les autres procédures (M = -.379 pour mêmes compétences, M = -.452 pour minimum requis, M = -.536 pour appartenance sexuelle, voir figure 1). La procédure basée sur le mérite est donc considérée comme la plus bénéfique des quatre procédures et l'hypothèse d'un continuum n'est donc pas réellement vérifiée. Concernant les avantages pour les femmes apportés par les procédures d'engagement (voir tableau 3, facteur 2), l'anova ne montre pas d'effet du type de politique, F(3, 132) = .23, p =.88. Ce qui montre que quelle que soit la procédure d'embauche appliquée, les avantages restent les mêmes. L'hypothèse n'est donc pas vérifiée.

L'anova réalisée pour évaluer l'effet des différentes procédures d'embauche sur l'établissement d'une certaine justice sociale montre un effet significatif, F(3, 136) = 23.87, p<.0001. Ainsi, la procédure basée sur le mérite a une moyenne plus élevée que les autres (Ms = 5.99 pour le mérite, 3.84 pour les compétences égales, 2.64 pour le minimum requis et 3.36 pour l'appartenance sexuelle uniquement, voir figure 1). Par ailleurs, celle basée sur les mêmes compétences diffère de celle basée sur le minimum requis, p<.005. L'hypothèse du continuum n'est pas tout à fait vérifiée, mais on peut en entrevoir une ébauche.

L'anova effectuée sur la promotion de l'idée d'égalité des sexes chez l'enfant montre un effet significatif du type de procédure, F(3, 135) = 3.32, p<.05. La procédure basée sur le mérite a une moyenne supérieure à celle basée sur le minimum requis (Ms = 5.37 et 4.18, p<.01, voir figure 1). L'hypothèse n'est donc pas réellement vérifiée. Enfin, lorsqu'on demande aux participants d'évaluer parmi les différentes procédures la plus souhaitable, 81% des participants estiment que celle basée sur le mérite est la plus souhaitable et 14% penchent plutôt pour celle du choix d'une femme lors de compétences égales, les autres procédures se partageant les 5% restant.

Ces résultats montrent clairement que la procédure de sélection la mieux évaluée donc apparaissant comme la plus équitable, la plus bénéfique et le meilleur moyen d'augmenter le nombre de femmes dans l'entreprise est celle basée sur le mérite. Ainsi, l'hypothèse d'un continuum entre les différentes procédures d'embauche n'est pas vérifiée, néanmoins les courbes des graphiques (voir figure 1) vont dans le sens de notre hypothèse.

Hypothèse 2

Selon cette hypothèse, la candidate sélectionnée et la procédure d'engagement seraient mieux évaluées lorsque l'entreprise est majoritairement masculine que lorsqu'elle l'est minoritairement.

Pour que l'hypothèse soit vérifiée, les participants devraient trouver plus normal qu'à qualifications égales, les femmes soient préférées aux hommes lorsque entreprise est composée d'une majorité d'hommes que lorsque l'entreprise est minoritairement masculine. L'anova montre que tel n'est pas le cas, F(1, 136) =.072, p=.79. Quelle que soit la composition de l'entreprise les moyennes sont égales (Ms = 2 et 1.94).

L'anova effectuée sur les bénéfices des procédures (voir tableau 2, facteur 1) ne montre aucun effet du type de condition, F(1, 127) = .05, p=.83. Ainsi, l'hypothèse n'est pas vérifiée.

Concernant les opinions des participants sur la candidate sélectionnée, l'anova montre que la composition de l'entreprise n'a pas d'effet sur la perception des compétences de Mme L., F(1, 127) = 0.05, p=.83. Mme L. est perçue comme ayant les mêmes compétences que l'entreprise soit majoritairement ou minoritairement masculine. Les résultats présentés semblent indiquer que cette hypothèse, postulant que la candidate et la procédure d'engagement seraient mieux évaluées lorsque l'entreprise est majoritairement masculine que lorsqu'elle l'est minoritairement, n'a pas été vérifiée.

Hypothèse 3

 Rappelons que selon cette hypothèse, les femmes devraient être plus favorables aux mesures visant à les favoriser que les hommes et elles devraient évaluer plus favorablement la candidate sélectionnée que les hommes. De plus, étant donné que les hommes devraient être moins favorables aux procédures que les femmes, on s'attend également à ce qu'ils se sentent davantage menacés par ces procédures.

A la question de savoir si plus de mesures devraient être prises pour favoriser l'emploi des femmes, le t-test montre un effet du sexe des participants, t (149) = -7.02, p<.0001, les femmes étant plus favorables à des mesures que les hommes (Ms = 5.56 et 3.95). Les résultats vont dans le même sens pour ce qui est d'un type particulier de mesures, à savoir l'allocation de subventions aux entreprises pour favoriser l'emploi des femmes, t (147) = -4.83, p<.0001. Les femmes y sont plus favorables que les hommes (Ms = 4.22 et 2.62). Les résultats tendent à confirmer l'hypothèse puisque les femmes sont plus favorables aux mesures visant à les favoriser que les hommes.

Pour que l'hypothèse soit vérifiée, les femmes plus que les hommes devraient juger qu'il est normal qu'à qualifications égales, les femmes soient préférées aux hommes. Mais tel n'est pas le cas puisque les deux moyennes ne diffèrent pas, F(1, 136) = 1.32, p=.254. Les femmes devaient aussi être plus d'accord que les hommes qu'une femme soit préférée à un homme parce qu'elle est une femme, ce qui n'est pas le cas lorsqu'on regarde les résultats, F(1, 136) = .644, p=.424. Ces résultats vont donc à l'encontre de l'hypothèse.

Concernant les opinions sur Mme L., on s'attend à ce que les femmes l'évaluent plus favorablement que les hommes. A la question de savoir si Mme L. a toutes qualifications requises pour le postes qu'elle a obtenu, l'anova ne montre pas d'effet du sexe des participants, F(1, 131) = 2.84, p=.095. Quant à savoir si Mme L. n'est pas suffisamment compétente pour le poste qu'elle a obtenu, l'anova n'a pas non plus d'effet significatif, F(1, 133) = 2.38, p=.125. Ces deux résultats ne vont donc pas dans le sens attendu, puisque l'on s'attendait à ce que les femmes soient plus favorables à Mme L. que les hommes.

Concernant les opinions des hommes sur ces procédures, l'hypothèse postulait que les hommes plus que les femmes devraient estimer que ces procédures leur portent préjudice. Le t-test calculé, pour estimer si "les mesures visant à favoriser l'embauche des femmes peuvent porter préjudice à ma propre carrière professionnelle" varient en fonction du sexe des participants, met en évidence un effet du sexe, t (150) = 2.41, p<.02. Les hommes ont une moyenne supérieure à celle des femmes (Ms = 3.13 et 2.29). Les résultats vont ainsi dans le sens de ce qu'on attendait.

Quand on demande aux participants d'évaluer si la procédure de sélection des candidats aux postes de cadres compromet l'accès des hommes à ces postes dans l'entreprise en question, l'anova ne montre aucun effet de sexe, F(1, 136) = 2.51, p=.12. Les hommes et les femmes ne donnent donc pas de réponses significativement différentes (Ms = 4.87 pour les hommes et 4.4 pour les femmes), les résultats ne vont donc pas dans le sens attendu.

Dans l'ensemble, cette hypothèse a été en partie vérifiée puisque certains items la valident mais d'autres l'infirment.

Hypothèse 4

Selon cette hypothèse, la candidate sélectionnée selon la procédure du minimum requis devrait être moins bien évaluée par les femmes que par les hommes.

L'anova effectuée sur les compétences de Mme L. (voir tableau 2, facteur 2) ne met pas en évidence d'effet significatif entre les hommes et les femmes lorsque la procédure est basée sur le minimum requis, F(3, 127) =.866, p=.46. En regardant les moyennes (Ms = .67 pour les femmes et .84 pour les hommes), on remarque que, bien que la différence ne soit pas significative, les femmes plus que les hommes jugent Mme L. comme plus compétente, puisque leur moyenne est plus faible que celle des hommes. Rappelons que plus les moyennes sont élevées, plus elles mettent en évidence un manque de compétences. On peut donc dire que l'hypothèse a été infirmée et qu'elle tend même à s'inverser, bien que les résultats ne le montrent pas clairement.

Résultats complémentaires

 Dans le cadre de notre étude, nous avons mesuré la perception qu'ont les gens de la réalité des relations hommes-femmes dans le domaine du travail.

Le t-test réalisé, pour évaluer l'effet du sexe des participants sur la présence de la discrimination des femmes dans le domaine du travail (voir tableau 1, facteur 1), est significatif, t (148) = -7.97, p<.001. Ainsi, les femmes ont un score factoriel plus élevé que celui des hommes (Ms = .583 et -.517). Elles estiment donc que la discrimination des femmes est plus présente que les hommes. Le t-test effectué, pour estimer si la perception de l'égalité hommes-femmes dans le domaine du travail varie en fonction du sexe des participants, montre un effet significatif, t (149) = 2.99, p<.005. Les femmes comme les hommes jugent que l'égalité hommes-femmes est peu présente, néanmoins, les femmes ont une moyenne inférieure à celle des hommes (Ms = 2.86 et 3.66). Ces résultats montrent donc que la discrimination et l'inégalité envers les femmes existent dans le domaine du travail, les femmes en étant plus conscientes que les hommes. Par ailleurs, si l'on regarde l'évaluation qu'ont faites les participants des pourcentages moyens de femmes aux différents échelons, on remarque qu'ils vont en décroissant au fur et à mesure qu'on monte dans la hiérarchie : 49.7% de femmes aux postes subalternes, 35.6 aux postes intermédiaires et 14.3% aux postes de dirigeants. Nous avons également mesuré les préjugés envers les femmes actives (tableau 3, facteur 1). L'anova effectuée met en évidence un effet du sexe des sujets, F(1, 132) = 19.917, p<.001. Les hommes ont donc plus de préjugés envers les femmes actives que les femmes (Ms = .348 et -.367).

Pour résumer, les résultats montrent que les femmes sont plus conscientes que les hommes de la discrimination et de l'inégalité dont elles sont victimes dans le domaine du travail et les hommes ont plus de préjugés envers les femmes actives que les femmes.

DISCUSSION

En ce qui concerne la première hypothèse, on s'attendait à ce que la procédure d'engagement basée sur le mérite (la femme a les compétences supérieures, elle est donc engagée) soit jugée de manière plus favorable que celle basée sur le traitement préférentiel faible (à compétences égales, engagement de la femme) qui, elle, devait l'être plus que celle basée sur le traitement préférentiel ni faible ni fort (à compétences minimum requises pour le poste, engagement de la femme). Enfin, la dernière procédure d'engagement basée sur le traitement préférentiel fort (la femme est engagée uniquement pour son appartenance sexuelle), devait être jugée de la manière la moins favorable. Les résultats ont montré que cette première hypothèse n'avait été qu'en partie vérifiée. En effet, bien que les différences n'aient souvent pas été significatives entre les différentes procédures, les graphiques montrent l'existence d'un continuum entre les différentes procédures d'embauche. Certes, le continuum tel qu'on l'attendait ne s'est pas vérifié, mais lorsqu'on regarde les courbes des différents graphiques, on remarque que le continuum est peut-être plus compliqué qu'on l'avait imaginé. Il apparaît effectivement que bien que la procédure basée sur le mérite soit toujours jugée de manière significativement différente des autres procédures, les autres procédures n'apparaissent pas toujours dans le même ordre. Ainsi, lorsqu'il s'agit d'établir quelle est la meilleure manière d'augmenter le nombre de femmes et d'évaluer les bénéfices apportés pas les procédures, le continuum apparaît tel qu'on l'attendait. La procédure basée sur le mérite est mieux évaluée que celle basée sur les mêmes compétences, vient ensuite la procédure basée sur le minimum requis et enfin celle basée sur l'appartenance sexuelle. Néanmoins, en ce qui concerne l'équité de la procédure, l'établissement d'une certaine justice sociale et la promotion de l'idée d'égalité des sexes chez l'enfant, les procédures basées sur les mêmes compétences et sur l'appartenance sexuelle uniquement ont une moyenne identique alors que la procédure basée sur le minimum requis a une moyenne inférieure. On peut donc en déduire que la procédure basée sur les mêmes compétences et celle basée sur l'appartenance sexuelle semblent plus proches et considérées comme plus similaires qu'on ne l'imaginait a priori. En outre, le fait que la procédure de sélection basée sur les mêmes compétences ne se différencie pas des deux dernières procédures nettement plus discriminatoires envers les hommes nous surprend. En effet, on peut imaginer qu'aucune différence ne soit perçue entre la procédure basée sur le minimum requis et sur celle de l'appartenance sexuelle uniquement, mais on aurait pu penser que les procédures basées sur le mérite et sur les mêmes compétences diffèrent moins l'une de l'autre.

Pour résumer, l'on peut dire que l'hypothèse d'un continuum entre les différentes procédures a été vérifiée en partie et que le continuum semble être plus compliqué qu'il n'y paraissait y priori. Certains résultats montrent que le continuum va dans le sens prévu, alors que d'autres résultats semblent indiquer que les procédures basées sur les mêmes compétences et sur l'appartenance sexuelle sont considérées de la même manière et que la procédure basée sur le minimum requis est la moins bien considérée. Des recherches complémentaires sur ce sujet seraient donc pertinentes.

La seconde hypothèse était que la candidate sélectionnée et la procédure d'engagement seraient mieux évaluées lorsque l'entreprise est majoritairement masculine que lorsqu'elle l'est minoritairement. Les résultats de notre étude montrent que cette hypothèse n'a pas été vérifiée. Cela peut s'expliquer par le fait que, dans notre étude, la variable portant sur la composition de l'entreprise n'a eu que très peu d'impact, ce qui peut être dû à différents facteurs. Il se peut que les participants n'aient pas particulièrement porté leur attention sur les informations se rapportant au pourcentage d'hommes au sein de l'entreprise, cela du fait que l'information sur la procédure de sélection de Mme L. leur a paru plus importante. D'autre part, il est possible que le fait de lire qu'une entreprise est composée d'une minorité d'hommes leur ait semblé incongru et qu'ils n'aient donc pas cru à la véracité du scénario.

La troisième hypothèse postulait que les femmes devaient être plus favorables aux mesures visant à les favoriser que les hommes et qu'elles devaient évaluer plus favorablement la candidate sélectionnée que les hommes. Les résultats confirment en partie l'hypothèse. Les femmes sont certes plus favorables à des mesures les concernant que les hommes, néanmoins elles ne semblent pas désirer être favorisées lorsqu'elles ont des qualifications égales à celles d'un homme. Pour ce qui est de l'évaluation de la candidate sélectionnée, les résultats ne confirment pas l'hypothèse puisque les femmes ne l'évaluent pas plus favorablement que les hommes. Quant aux préjudices des procédures d'embauche envers les hommes, l'hypothèse est tantôt vérifiée, tantôt infirmée. En effet, les hommes estiment que les mesures visant à favoriser les femmes peuvent porter préjudice à leur propre carrière professionnelle, mais leur moyenne est très faible. Ce manque de sentiments de menace de la part des hommes peut s'expliquer de différentes manières : il se peut que, puisque la question est posée en début de questionnaire (soit avant la lecture des scénarios), les hommes se sentent novices sur ce sujet et pas du tout concernés ; une autre explication est qu'ils ont une haute estime d'eux-mêmes et de leurs capacités qui les tiendrait à l'écart de toute concurrence féminine. Lorsqu'on demande aux participants d'évaluer si la procédure de sélection compromet l'accès des hommes aux postes de cadres, les résultats des hommes ne diffèrent pas de ceux des femmes et se situent au milieu de l'échelle. Ce résultat ne va donc pas dans le sens de l'hypothèse. Dans l'ensemble, on ne peut pas dire que notre hypothèse ait tout à fait été vérifiée puisque les résultats sont variés. Les femmes sont plus favorables que les hommes à des mesures les favorisant mais elles n'évaluent pas plus favorablement la candidate sélectionnée que les hommes. Concernant les hommes, ces derniers plus que les femmes estiment que les mesures visant à favoriser les femmes peuvent leur porter préjudice, mais leurs résultats ne diffèrent pas de ceux des femmes lorsqu'on leur demande d'évaluer si la procédure compromet l'accès des hommes aux postes de cadres.

Dans la dernière hypothèse, on s'attendait à ce que la candidate sélectionnée selon la procédure du minimum requis soit moins bien évaluée par les femmes que par les hommes. Les résultats ne confirment pas cette hypothèse et tendent même à montrer le contraire, bien que les résultats ne soient pas significatifs.

Pour résumer, nous pouvons dire que les résultats n'ont pas vérifié toutes les hypothèses postulées. Néanmoins, ce que l'on a trouvé est intéressant puisqu'il apparaît que l'existence d'un continuum est probable et que ce continuum ne va pas forcément dans le sens attendu. On s'attendait à un effet de favoritisme intra-groupe en ce qui concerne les procédures de sélection et à un effet de rejet de la candidate par les femmes lorsque celle-la était moins compétente que son concurrent homme. Mais de tels effets ne sont pas apparus dans notre étude. Cela peut être dû à plusieurs facteurs propres à l'opérationnalisation de l'étude ou au sujet même de l'étude, à savoir les actions affirmatives qui, comme nous l'avons soulevé dans la partie introductive de notre étude, ne font pas l'unanimité même au sein des bénéficiaires.

Les résultats complémentaires ont mis en évidence que les femmes plus que les hommes jugent qu'elles sont discriminées dans le domaine du travail. Elles estiment aussi, davantage que les hommes, que l'égalité hommes-femmes n'existe pas dans ce domaine. Ainsi, les femmes étant intéressées et concernées par cette question en sont plus conscientes que les hommes. Il est important de noter toutefois que les hommes sont largement conscients de la discrimination des femmes et de l'inégalité homme-femme dans le domaine du travail. Ces éléments justifient donc la mise en place de procédures visant à favoriser les femmes. Lorsqu'on demande aux participants d'évaluer le pourcentage de femmes à différents types de postes, il apparaît qu'environ 50% de femmes occupent des postes subalternes, 36% des postes intermédiaires et 14% des postes de dirigeants. Ces résultats semblent confirmer ce qui a été montré précédemment, à savoir que les femmes ont moins de chances que les hommes d'avoir des postes à responsabilité. Dans une future étude, il serait pertinent de s'intéresser aux causes de ce problème de discrimination des femmes. De fait, les gens estiment-ils que les femmes ont des postes moins élevés que les hommes parce qu'elles ont réellement moins de chances qu'eux d'avoir un poste hiérarchiquement élevé, parce qu'elles ont tendance à être moins qualifiées qu'eux, parce qu'elle sont moins compétitives ou parce qu'elles sont victimes de leurs stéréotypes ?

Au vu des résultats, on peut en conclure que les femmes sont discriminées dans le domaine du travail et qu'elles sont favorables à ce que certaines améliorations soient faites pour encourager leur emploi. Mais l'on remarque également que l'allocation de subventions aux entreprises n'est pas forcément la bonne solution. Il aurait donc été intéressant de demander aux personnes interrogées quelles seraient les mesures à adopter pour favoriser l'emploi des femmes. Le débat semble assez complexe puisque, comme nous l'avons vu dans notre étude, les femmes ont moins de chances que les hommes de réussir dans le domaine du travail mais, quand il s'agit de les favoriser par rapport aux hommes, des problèmes apparaissent. Par ailleurs, notre étude montre clairement que la procédure basée sur le mérite, qui est la procédure normale de recrutement, est celle qui est la mieux évaluée. Les autres procédures qui, elles, sont des mesures favorisant les femmes sont de toute façon moins bien vues que la procédure normale de sélection. En ce qui concerne les femmes, celles-ci veulent être reconnues pour leurs compétences et non pour leur appartenance à un groupe donné (Chacko 1982). Ainsi, la mise en place de mesures les favorisant pourrait être ressentie par ces dernières comme une sorte de concession faite par les hommes, mais non comme une ouverture à une égalité prochaine entre les deux sexes. Enfin, en ce qui concerne les hommes, la mise en place de procédures visant à favoriser les femmes peut leur paraître injuste et inéquitable (Kravitz et al. 1996 p.12). Le débat reste donc ouvert.

Conclusion

Concernant les résultats de cette étude, il faut garder à l'esprit qu'ils ont été obtenus sur une population étudiante en premier cycle qui, pour la plupart, n'a jamais été confrontée au monde du travail. On peut imaginer que si l'étude avait été effectuée dans le cadre du travail sur une population de salariés, les résultats auraient été différents. En effet, de nombreuses études ont montré que les femmes étaient souvent discriminées et avaient moins de chances que les hommes de gravir les échelons hiérarchiques (OIT, Bulard), ainsi les procédures de traitement préférentiel pourraient être vues comme salvatrices par certaines femmes. Nous pensons, certes, que les procédures préférentielles ne sont qu'un passage obligé pour permettre à bon nombre de femmes de montrer leurs compétences et qu'elles peuvent être considérées comme égales à l'homme dans de nombreux domaines. Ainsi, on peut penser que si l'on favorise momentanément les femmes par rapport aux hommes, les normes sociales et les stéréotypes sexuels vont changer dans le domaine du travail. Il deviendrait donc habituel de voir des femmes occuper des postes clé et il serait possible de revenir petit à petit à un traitement égalitaire entre hommes et femmes. Néanmoins, ce changement pourrait s'effectuer seulement si les procédures préférentielles tiennent compte des compétences en premier lieu, c'est-à-dire si l'engagement d'une femme se fait seulement si elle a des compétences supérieures ou égales à celles de son concurrent masculin. Certes, l'on n'est pas près d'arriver à ce monde dans lequel hommes et femmes seront égaux dans le domaine du travail mais il nous paraît possible d'y accéder un jour si les actions visant à favoriser les femmes n'engendrent pas de discrimination inverse et si le critère des compétences reste au centre des préoccupations.

Pour de futures recherches, il faudrait que l'étude soit effectuée parmi des personnes actives, dans le domaine du travail, ce qui nous permettrait de recueillir des opinions plus concrètes. En outre, puisque la variable concernant la composition des salariés de l'entreprise (majorité d'hommes versus de femmes) n'a que peu fonctionné dans la présente étude, il serait intéressant de faire varier le domaine de l'entreprise, soit un domaine typiquement masculin contre un domaine typiquement féminin. De plus, concernant l'opposition des gens aux actions affirmatives, il semble important de connaître la cause exacte de leur résistance afin d'agir de manière adaptée. Il serait donc pertinent de recueillir les avis de personnes sur toutes les procédures de sélection de façon qualitative (entretiens, questions ouvertes…) après avoir précédemment mesuré leur degré de préjugés envers les femmes. La mesure de leurs préjugés permettrait de voir si les personnes peu enclines à supporter les procédures favorisant les femmes le sont de par leurs préjugés ou pour d'autres raisons (l'intérêt personnel par exemple). En effet, si une personne a des préjugés sexistes, elle percevra de toute façon que les procédures visant à favoriser les femmes sont inutiles, puisque les femmes sont jugées moins capables que les hommes. Il sera alors question d'agir sur les préjugés de la personne pour tenter de les lui faire réduire. Néanmoins, si l'individu opposé à favoriser les femmes l'est par peur de se retrouver personnellement délaissé et défavorisé, on pourra agir afin qu'il perçoive les procédures préférentielles comme plus équitables.

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