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Yolanda Botta Kauer - Chirurgie plastique, reconstructive et esthétique

Les débuts de ma collaboration en tant que
chirurgien plasticien et chirurgien de la main au Togo et Bénin

Yolanda Botta Kauer

Mon premier voyage en Afrique en tant que médecin, je l'ai fait en 1978. D'entente avec Terre des Hommes, j'avais pour mission de trouver au Togo ou au Bénin, une structure médicale sûre et disposée à recevoir des patients présentant : des séquelles de brûlure, des ulcères, des malformations congénitales, tumeurs déformantes, etc. au niveau du visage et des extrémités.
Tous ces patients étaient jusqu'à lors transportés au CHUV en Suisse et opérés dans le cadre de la chirurgie plastique et reconstructive et chirurgie de la main.
En évitant ces déplacements des enfants en Suisse, Terre des Hommes pouvait réaliser des économies qui permettaient alors d'opérer un plus grand nombre de patients.
D'autres part, on évitait à ces enfants le traumatisme, quelques fois important, que signifiait leur arrivée pour la première fois depuis la brousse dans un hôpital universitaire suisse, au milieu de gens qui ne parlaient pas leur langue, avec des habitudes complètement différentes et ajoutant à ceci que souvent l'enfant n'avait même pas été correctement renseigné sur la façon dont son transfert et son traitement allaient se dérouler.

Quand je suis arrivée à Lomé, (Togo) et à Cotonou (Bénin), j'ai pris contact avec toutes les structures médicales et chirurgicales pouvant aider mon projet. J'étais à cette époque à la fin de ma formation en tant que spécialiste FMH en chirurgie plastique et chirurgie de la main et je me proposais de faire une chirurgie, dans le cadre de ma spécialité, destinée à améliorer la qualité de vie des enfants, et leurs permettre de s'intégrer dans une vie sociale normale. Tant à Lomé qu'à Cotonou, les médecins chefs des hôpitaux ou les chirurgiens chefs des différentes unités, ne voyaient pas la nécessité ni l’urgence de travailler avec un chirurgien de ma spécialité.

Dans ces années là, la conception d’un chirurgien était un peu une autre qu’aujourd’hui : un chirurgien, c'était quelqu'un qui opérait l'abdomen, le thorax, le système nerveux central, qui remettait des os en place et en un mot, des hommes qui sauvaient des vies, soulageaient les douleurs. Une chirurgie destinée à améliorer la qualité de vie n'était pas à l'ordre du jour.

Je voyais peu à peu les portes se fermer devant mon projet. Quand on m'a proposé d'aller visiter deux hôpitaux en brousse : l'un était à 70 km. de Lomé et l'autre à 700 km. de Cotonou et c'était là-bas que se trouvait le médecin chef à qui je devais présenter mon projet.
En ce temps là les 700 km. de route étaient pratiquement entièrement de la piste, par endroit elle était en mauvaise condition : des trous, de la tôle ondulée, des arbres tombés. Cette piste traversait beaucoup de village, où il fallait éviter : les gens, les enfants, les animaux et les voitures en principe n’étaient pas entretenues.
Aller à Tanguiéta dans l'hôpital qui était à 700 km. de Cotonou, signifiait partir à 5 heures du matin et si tout allait bien arriver le même jour à minuit.

Avec la déléguée de Terre des Hommes, nous avons fait ce voyage et nous sommes arrivées à Tanguiéta peu avant minuit. Personne nous attendait – le téléphone n'existait pas, on communiquait par un système radio qui ne marchait pas – le médecin chef était en train d'opérer et deux autres urgences l'attendaient. Ce n'était pas le moment de présenter mon projet. Avec la cordialité typiquement africaine, on nous a offert le repas et on a fait le nécessaire pour libérer une chambre de malade où nous avons dormi.

Le lendemain matin j'ai été trouvé le Dr. Florent Priuli, frère religieux et médecin chirurgien chef de l'hôpital.
A ma grande surprise, il était enthousiaste quant à mon projet et durant les quelques jours qui me restaient avant mon départ, j'ai opéré une trentaine de patients. Presque tous des cas désespérés, des patients qui étaient eux-mêmes surpris que quelqu'un puisse leur offrir une possibilité de traitement.
La plupart de ces gens surtout ceux qui présentaient des déformations visibles notamment au niveau de la face, vivaient souvent cachés, culpabilisés et honteux. Quand ils osaient sortir seuls ou s’éloigner du village, les gens qui les trouvaient, qui les considéraient comme étant maudits ou contagieux, prenaient peurs et ce n'était pas rare qu'ils soient la cible d'attaques. Quelques fois, les enfants surtout, risquaient d'être pris par des communautés de féticheurs et étaient contraints à participer à des rituels.

Durant les jours que je suis restée, informés par le bouche à oreille, des patients continuaient à affluer à l'hôpital, arrivant quelques fois après 4 ou 5 jours de marche. A mon départ j’ai promis de revenir et c’est comme cela chaque année depuis bientôt 30 ans

Rappel historique des hôpitaux de Fatebenefratelli au Togo et au Bénin

Le Togo et le Bénin, sont devenus des pays indépendants après la deuxième guerre mondiale. En 1960, trois frères infirmiers de l'ordre de Fatebenefratelli sont venus s'installer dans des cases : d'abord à Afagnan, (village situé à 70 km. de Lomé – Togo) et ensuite à Tanguiéta (village situé à 700 km. au Nord de Cotonou – Bénin). Dans ces villages, les succès obtenus par leurs traitements et leurs réputations grandissantes, le nombre de patients augmentait et peu à peu les cases se sont multipliées et dans ces cases, a commencé à fonctionner un véritable dispensaire. Aujourd'hui 50 ans après leurs arrivées, ces cases se sont transformées en un complexe hospitalier, en périphérie des villages, où sont soignés pas seulement des villageois mais aussi des patients qui viennent même des villes importantes ou des pays environnants.

En 1978, quand j'ai connu ces hôpitaux, ils avaient une capacité de 150 lits environ chacun mais on gardait hospitalisé, dormant sur des nattes, un total d'environ 200 patients. Avec la famille qui les accompagnait, ça faisait une population d'environ 400 personnes. Il y avait un médecin chef dans chacun des hôpitaux et deux médecins assistants de la coopération italienne. Gravitant au tour de ces hôpitaux : des dispensaires tenus par des "infirmiers" et des sœurs infirmières volontaires, ils soignaient les cas simples, faisaient des consultations et selon la gravité des cas les patients étaient transportés à l’hôpital de référence.

Les missions médicales, venant surtout d’Europe et déployant un travail important, comme l'on connaît aujourd'hui, n'existaient pas. Les enfants africains présentant des affections, pouvant être améliorées par un traitement médical ou chirurgical et dont leurs cas, arrivaient à la connaissance de Terre des Hommes, étaient recensés : un dossier médical et photographique était établi sur place et ensuite d'après leurs affections, transférés par Terre des Hommes dans différents services au CHUV ou au HUG en Suisse, où dans différents pays selon l'origine des délégués.
En 1978, la vie dans les hôpitaux d’Afagnan et Tanguieta se passait comme dans un petit village. L'eau était une denrée rare, on collectait l’eau de pluie et aussi celle qu’on remontait par des pompes et des forages : une eau trouble et salée. Avec 40 degrés et une poussière rouge qui collait au corps, on réfléchissait beaucoup avant de prendre une douche. L'électricité était donnée par un groupe électrogène qui fonctionnait de 8 heures du matin à 18 heures du soir et qui était à nouveau enclenché en cas d'urgence opératoire, durant ces heures tous les appareils électriques à disposition étaient en fonction, depuis les machines à laver, jusqu’au bloc opératoire. On se nourrissait avec ce que l'hôpital produisait dans son jardin potager, la viande provenait principalement du poulailler et de l’achat du bétails au peuls. Au nord, le produit de la chasse était fourni par le chirurgien Chef qui partait une fois par mois dans la réserve animalière de la Penjerai. Le pain était fabriqué sur place. Une fois par année, arrivait les containers d'Italie, avec les médicaments, les instruments médicochirurgicaux, et aussi du vin, des panettones et tant d'autres spécialités italiennes que tout le monde appréciait et qui devait durer une année.
Une fois par semaine, la voiture de l'hôpital qui servait au transport des malades, partait vers la ville pour se procurer les bouteilles d’oxygène et d’autres produits nécessaires au fonctionnement de l’hôpital et aussi dans les « centres commerciaux » pour ramener des fruits, la farine, le sucre, les bougies, les allumettes et tant de chose que l'on ne pouvait pas produire à l'hôpital.

Les patients arrivaient spécialement des villages voisins, mais déjà la réputation de l'hôpital attirait des patients au delà des frontières.

Depuis ce temps, me rendant une fois par année, je trouvais et je trouve encore aujourd’hui dans chacun de mes voyages que l'hôpital et surtout la vie dans l'hôpital s'améliore à pas de géants.
Aujourd'hui il existe le courant électrique, l'air conditionné, des nappes d'eau potable ont été découvertes et forées autour de l'hôpital qui fourni aujourd'hui grâce à ces travaux de l'eau potable presque en abondance pas seulement à l’hôpital mais aussi aux villages environnants. Les voitures ont augmenté en nombre et il y a un service d'entretien efficace. Un service de soins intensifs pour les patients opérés et les malades graves de médecine qui s'est développé à côté du bloc opératoire. Environ 15 médecins, de différentes spécialités : anesthésiste, gynécologue, pédiatre, médecine interne, etc.… travaillent à l'hôpital et dans les dispensaires environnants. L'hôpital d'Afagnan a été reconnu depuis environ 2 ans comme un centre de formation en chirurgie et médecine. Depuis environ 2 ans, le téléphone fonctionne et internet est présent.
Certains médecins ont fait des échanges en séjournant dans des hôpitaux suisses (hôpital de Delémont et Porrentruy) aussi en Italie et des médecins européens sont allés dans ces hôpitaux africains.
Peu à peu je ne suis plus le seul médecin à parcourir l’ancienne piste, aujourd’hui une route asphaltée. Un tournus de médecins et chirurgiens qui arrivent comme moi une fois par année et qui traitent des cas innérants à leur spécialité s’est peu à peu créé.

Lors des consultations, il arrive toujours des dizaine de patients qui dans beaucoup de cas, on parcourus plusieurs kilomètres très souvent à pieds avec l'espoir de trouver une amélioration de leur condition de vie. Il vient des fois aussi des anciens malades, ceux qui il y a vingt ou trente ans en arrière, attendaient dans le jardin de l'hôpital que la voiture qui ramenait par la piste les médecins depuis l'aéroport soit finalement arrivée.

Quelques fois, ces patients viennent seuls, simplement pour me raconter que la déformation pour laquelle ils ont été opérés ne leur gêne plus. Que si ils ont des cicatrices visibles, cela passe comme un accident, ils ne sont plus considérés comme des gens maudits, ils ont trouvé un travail, quelques fois ils se sont mariés et ils ont des enfants.

D'autres fois comme c'est le cas pour les becs de lièvre ou d'autres malformations héréditaires, après avoir opéré le grand-père, le père, je suis actuellement à la quatrième génération d'une famille. Aujourd'hui ils savent que l'on peut les guérir et qu'ils n'ont pas besoin de se cacher comme auparavant.

Des fois, il m'arrive une petite lettre, un mot, un dessin. Quelqu'un me l'envoie pour me dire qu'il va bien. Que son séjour a été long à l'hôpital, deux mois mais qui a été profitable. Il a été à l'école de l'hôpital et il a appris à lire et à écrire.

Je vois un peu moins de cas désespérés ou de patients qui ont souffert pendant 20 ans sans savoir à qui s'adresser.

Aujourd'hui, la moyenne d'âge de mes patients à diminué, la gravité des cas aussi.

Les patients guéris et rentrés au village, on appris à leur dépens qu'il fallait consulter plus tôt, ils sont en fait mes meilleurs recruteurs. Le travail et aussi le résultat fonctionnel esthétique serait de meilleure qualité si les connaissances techniques et la façon surtout de soigner correctement les patients en urgence, de les suivre médicalement jusqu'à l'arrivée d'une équipe de chirurgie plastique capable de le prendre en charge, devrait être encore mieux organisé.

C'est dans ce sens que je vais essayer de diriger mes efforts et on va peut être améliorer encore la qualité de vie des patients dépendants de ma spécialité dans les hôpitaux du Togo et Bénin.